Interview de Dario Azzellini, co-auteur du livre "Le business de la guerre"
"Dans les conflits actuels, le nombre de victimes civiles augmente sans cesse, tandis que les secteurs militaires prennent de moins en moins de risques"
Question : Comment a été réalisé cet ouvrage ?
Réponse : La publication du livre est l'aboutissement d'une série de séminaires et de débats entre les différents auteurs et d'autres spécialistes du sujet, autour de la question des conflits à travers le monde. L'idée est venue parce que, au-delà des raisons religieuses, ethniques, nationales, chacun d'entre nous sait que ces explications ne sont pas assez exhaustives, si l'on s'intéresse de près à chaque conflit. La violence organisée des anciennes et nouvelles élites prend des formes de plus en plus privatisées et structurées. Il y a une sorte de "stabilisation" des garanties de l'exploitation de la force de travail et de ses moyens.
Nous avions procédé à un échange d'impressions et de connaissances entre les auteurs, afin de cerner les caractéristiques générales des guerres et leurs conditions spécifiques. Le processus a duré deux ans jusqu'à la publication du livre, mais cela faisait de nombreuses années que nous nous étions penchés sur la question.
En combien de langues a-t-il été publié ?
La première édition fut imprimée en Allemagne en 2003. Deux autres parutions ont suivi en espagnol, au Venezuela et en Bolivie. L'an dernier, ce sont les éditions Txalaparta qui l'ont publié pour l'Etat espagnol, et en même temps que la sortie en français, une version italienne va voir le jour, avec la collaboration du quotidien "Il Manifesto". A partir de l'édition bolivienne, chaque nouvelle version a été élargie et réactualisée.
Les guerres du XXIème siècle, ont-elles une particularité ?
Elles se ressemblent dans la plupart des causes et des motifs. Une chose est sûre, c'est toujours la population civile qui en souffre le plus. En effet, tandis que le nombre de victimes civiles augmente sans cesse, les secteurs militaires courent de moins en moins de risques. Les entreprises multinationales s'y impliquent de manière plus directe et y participent en finançant des opérations militaires, par le biais notamment des Compagnies Militaires Privées. De plus, une des spécificités significatives des guerres et conflits actuels, c'est qu'elles garantissent le renforcement des modèles économiques. Auparavant, les guerres représentaient une "interruption de l'économie". Je ne fais pas référence à la fabrication et aux ventes d'armes, mais à des conflits qui servent à maintenir des conditions d'exploitation à long terme, qui ne pourraient durer sans l'existence d'hostilités.
D'autres nouvelles raisons d'enclencher des conflits apparaissent-elles ?
Le monde est plein de conflits militaires ; seuls quelques-uns sont connus en Europe. Les raisons principales sont toujours géo-stratégiques et le contrôle des ressources. La population qui voudrait avoir le pouvoir d'organiser sa propre vie est la première cible, puisqu'elle est installée dans des zones de ressources locales ou nationales. Dans l'avenir, les conflits augmenteront, notamment pour ce besoin impérieux de ressources énergétiques. Beaucoup ont été déclarées d'importance vitale et ce qui était considéré jadis bien commun est en train d'être privatisé. L'exemple le plus parlant est l'eau et, dans ce contexte, la biodiversité deviendra un enjeu considérable.
Quel rôle joue la France dans ces guerres ?
Elle est une force sub-impériale puissante avec des intérêts définis, et elle agit militairement dans ses zones d'influence, principalement en Afrique. En plus de ses troupes spéciales et de la légion étrangère qui opèrent souvent de manière illégale en faveur d'intérêts spécifiques, il y a de nombreux mercenaires français et quelques CMP. La SECOPEX, par exemple, se présente comme l' "alternative française sur le marché international de la sécurité". Composée d'environ 700 spécialistes, civils ou ex-membres des forces d'élite, elle offre une "connaissance théorique, méthodologique et opérationnelle étendue, qui garantit la qualité du service". La SECOPEX possède un réseau de représentants à Paris, Lyon, Alger, au Maroc, en Côte d'Ivoire, au Mexique, à Budford (USA) et à Bangui (République Centre-Africaine), et des personnes-relais dans quatre continents.
Pourquoi l'Afrique est-elle la grande oubliée ?
A cause du racisme et de toutes les explications racistes des conflits ; également de par la situation effroyable que vit une grande partie de ce continent. L'Afrique est riche en ressources et c'est dans l'intérêt de nombreux responsables politiques et financiers de maintenir les conflits, ceci pour perpétuer l'exploitation et pour enclencher d'autres guerres pour le contrôle des ressources ; cycle de guerres incessantes qui créeront à leur tour de l'économie. On veut nous faire croire qu'il s'agit de cas isolés, d'économies "oubliées" par le libéralisme global, alors qu'elles sont parfaitement intégrées dans les flux généraux de ressources et d'armes. Cette réalité, elle n'est pas très convenable à dévoiler.